Contrairement à la technique bien connue du sous-titrage qui consiste en la traduction de films ou de programmes audiovisuels, le surtitrage consiste en la traduction de discours prononcés lors de spectacles vivants comme les pièces de théâtre, les opéras, les festivals, etc. Alors que les sous-titres apparaissent en bas de l’écran, les surtitres sont projetés au-dessus de la scène. Depuis une vingtaine d’années, la technique du surtitrage est devenue une nécessité croissante compte tenu de la mondialisation qui, désormais, ne concerne plus seulement l’économie mais également les domaines culturels et artistiques. On peut ainsi définir cette technique comme étant à la fois un mode de traduction et un moyen d’échanges culturels pour les arts de la scène.
Une expérience interculturelle
L’objectif principal du surtitrage est de rendre un spectacle sur scène accessible à tous les spectateurs de différentes communautés linguistiques et qui ne maîtrisent pas nécessairement la langue de la production. Il permet au spectateur de profiter de la version originale tout en ayant une traduction en direct.
La capitale française regorge de touristes qui n’ont pas la possibilité d’accéder aux arts de la scène en raison des barrières de la langue. C’est la raison pour laquelle la start-up Theatre in Paris (www.theatreinparis.com) a été créée. Selon les fondateurs de ce projet, la culture française n’était pas assez présentée aux touristes. Theatre in Paris leur propose désormais d’assister à des représentations théâtrales françaises surtitrées en anglais. Ainsi, ils pourront découvrir la culture française sous un autre angle que les musées ou l’architecture et profiter d’une expérience interculturelle.
Le surtitreur, passeur d’émotions
Le surtitreur joue ici un rôle très important, c’est un traducteur en temps réel. Tout comme le sous-titreur, le surtitreur se doit de suivre certaines règles. Le surtitrage doit être concis et succinct pour que le public ait le temps de le lire et puissent regarder la scène en même temps. Les surtitres ne doivent pas détourner l’attention du public au détriment de ce qu’il se passe sur scène.
Son rôle est de chercher une équivalence dans la langue et dans la culture cibles susceptible d’engendrer une émotion analogue chez le spectateur. Pour cela, le surtitreur assiste aux répétitions successives ou travaille à partir de vidéos. Il produit une première traduction qu’il examine et ajuste autant de fois qu’il est nécessaire pour adapter ses surtitres au mieux en fonction de la représentation donnée. Une imprégnation aussi profonde que possible de l’œuvre est indispensable. C’est ensuite à lui de faire défiler les surtitres puisque les représentations ne sont jamais parfaitement semblables d’un jour à l’autre. La réaction des spectateurs doit se produire au bon moment, d’où l’importance de surtitres coordonnés avec la représentation.
Entretiens avec Carl de Poncins et David Mass
Pour conclure cet article, nous avons contacté Carl de Poncins, l’un des co-fondateurs de Theatre in Paris ainsi que David Mass qui possède une grande expérience en surtitrage.
-Connaissez-vous d’autres théâtres en Europe ou en dehors de l’Europe qui aient le même concept que Theatre in Paris ou êtes-vous « uniques » ?
Carl De Poncins : À ma connaissance, plusieurs maisons d’opéra dans le monde proposent des dispositifs d’accessibilité multilingue, notamment l’Opéra de Vienne, la Komische Oper Berlin, le Metropolitan Opera de New York. Dans le théâtre, ce type de dispositif est plus rare. Il existe pour certaines représentations au Teatro Real de Madrid, au Stadsschouwburg àAmsterdam et pour de nombreuses salles de Berlin (Schaubühne, Deutsches Theater, Gorki Theater, Theater am Potsdamerplatz, etc.).
-Projetez-vous de surtitrer les pièces françaises en d’autres langues que l’anglais ? Si oui, lesquelles ?
CDP : Oui nous réfléchissons à l’espagnol, au russe, au mandarin et à l’allemand notamment. Le nom des pièces concernées n’est pas encore décidé.
David Mass : Nous disposerons bientôt de technologies comme des lunettes à réalité augmentée et des dispositifs mobiles qui permettront à chaque spectateur de suivre les surtitres dans sa propre langue.
-Combien de temps est-il nécessaire pour préparer les surtitres d’une représentation théâtrale ?
CDP : Il faut compter environ 1 mois de travail, avec une intégration dans l’équipe artistique pour suivre l’évolution du texte et de la mise en scène. En 2015, 400 représentations ont été préparées.
DM : Au moins 1 mois, mais nous pouvons être plus rapides si nécessaire, comme pour les spectacles qui doivent être surtitrés dès la première représentation et qui ne sont pas encore terminés.
-Les surtitreurs sont-ils toujours en contact avec le metteur en scène et la troupe ou est-ce plutôt un travail solitaire ?
CDP : Une interaction forte avec le metteur en scène, l’auteur et la troupe est indispensable pour le meilleur travail possible. Il y a énormément de subtilités de rythme, notamment dans la comédie. C’est un art à part entière !
DM : Cela dépend toujours de qui se trouve de l’autre côté… Normalement, nous préparons les surtitres et ensuite nous consultons l’équipe artistique pour les subtilités ou les questions que nous souhaitons poser.
-En quoi se distingue un surtitreur d’un simple traducteur ? Quelles qualités sont nécessaires pour être un surtitreur compétent ?
DM : Le traducteur « ne coupe pas le cordon » avec l’original. Cela signifie que ses traductions sont généralement trop longues. Le surtitrage est un métier différent et requiert une immense expérience dans le domaine théâtral étant donné que les surtitres finissent par devenir partie intégrante du spectacle.
-Dans l’article, nous parlons du surtitrage comme étant une expérience interculturelle, qu’en dites-vous ?
CDP : Je suis 1000 fois d’accord avec cela. Vivre une soirée au théâtre au milieu des locaux, grâce aux surtitres, est une expérience extraordinaire, véritablement unique !
DM : Oui, je suis d’accord. Les théâtres doivent ouvrir leurs portes à de nouveaux publics et ils auront beaucoup à gagner !
-Nous parlons également des surtitreurs comme étant des passeurs d’émotions, qu’en pensez-vous ?
CDP : Je le crois vraiment. C’est un art à la frontière entre la régie et la scène, un travail de précision, presque musical.
DM : Lorsque la plupart du public ne comprend pas la langue parlée sur scène, le surtitreur est bien plus que ça. Il devient celui qui rend possible l’existence de l’œuvre ! Les acteurs ressentent le besoin d’être compris pour jouer au mieux et le public ressent le besoin de comprendre au mieux. C’est la seule manière de faire circuler l’essence de l’œuvre théâtrale entre eux.
Photo: Alexis Pichot